mardi 5 février 2013

Lettre ouverte à Cambadélis

Monsieur Cambadélis,

Faisant partie de ce que vous appelez « l'électorat de gauche », en opposition à ces nombreux centristes et autres indécis qui n'ont pas voulu ingurgiter du Sarkozy pendant encore 5 années en se portant sur votre candidat aux élections présidentielles, je vous sais gré d'enfin ouvrir undébat que ce même candidat n'a jamais accepté pendant la campagne électorale: « le PS et le Front de Gauche » sont-ils politico-compatibles?

A mon tour de me faire plaisir en reprenant votre argumentation point par point.

Aïe! D'emblée, vous affirmez que la « gauche », plurielle, partage les mêmes valeurs. Je vous garantis le contraire, si vous entendez par là que le Parti Socialiste est de gauche... Je ne retrouve pas mes valeurs de justice, lorsque j'entends la président « socialiste » de mon pays appeler à « détruire » les « terroristes » d'une ancienne colonie, au mépris de toute forme de procès; je ne retrouve pas mes valeurs d'équité, lorsque son gouvernement, dont la plupart des membres ont eu dix années pour analyser et réfléchir à ce qu'ils feraient au pouvoir, commande et applique sans délai un « plan compétitivité » résultant en un appauvrissement supplémentaire des recettes de l'Etat au profit essentiel des entreprises, et sans contrepartie; je ne retrouve pas mes valeurs de solidarité, lorsque son ministre du budget s'applique à miner le projet d'une taxation des plus hauts revenus, au point de se ridiculiser lui-même par la décision du Conseil Constitutionnel; je vous passe le boa du TSCG, l'Anaconda de Florange, la charge des forces de l'ordre à Notre Dame Des Landes, l'envoi des syndicats dans la fosse aux lions du Medef, etc....

Vous poursuivez en lui reprochant d'avoir « décliné toute participation à l’action de redressement de la France ». Pour avoir suivi avec attention la campagne électorale sur laquelle vous revenez, je l'ai entendu au contraire affirmer qu'il est prêt, sur la base du projet collectif que ses militants lui ont confié, à prendre la tête du gouvernement. Auriez-vous cédé sur ce point à une mauvaise foi à laquelle tout homme politique français semble aujourd'hui s'obliger? En revanche, je me souviens également que votre candidat appelait toutes les bonnes volontés à rejoindre son gouvernement pour appliquer SON programme. Les écologistes ont accepté ce compromis (certains de mes amis appelleraient cela une trahison), pas le Front de Gauche, pour les raisons décrites au paragraphe précédent.

Et vous concluez que les « critiques systématiques » ont moins de force. Là, je suis un peu perdu par votre raisonnement, et vais essayer d'éclairer mon point de vue par l'exemple.

Celui des écologistes tout d'abord: les ministres EELV qui ont cédé à l'appel du pouvoir, pardon, qui ont eu le courage de participer au redressement de la France avec vos amis du PS, sont bâillonnés au sein d'un gouvernement qui vide de leur sens toutes les promesses de campagne visant à la protection de l'environnement et à la sortie du nucléaire. Leurs voix sont inaudibles, leurs critiques inexistantes; sont-ils devenus socialistes? Comment êtes-vous parvenu à diluer leur existence « plurielle »?

Celui de vos (anciens?) amis ensuite. Que reste-t-il de l'existence politique de ceux qui ont collaboré avec N. Sarkozy? Kouchner? Besson? Strauss-Kahn? Leur participation à la politique UMP a-t-elle fait avancer vos idées? Je suis très impatient de vous lire à ce sujet.

Vous avez trop d'expérience pour savoir que les appareils politiques, et celui du PS peut-être mieux que les autres, alignent les têtes ministérielles les unes derrière les autres pour présenter une cohérence médiatique conforme à ce que l' »opinion publique » est préparée à entendre. La petite musique du Front de Gauche, si justement différente de celle que votre parti nous joue actuellement, à le don d'éveiller les consciences, et de vous alerter assez pour que vous vous fendiez d'une longue lettre ouverte.

Vous reprochez ensuite à M. Mélenchon de ne pas partager sa critique entre votre action et le bilan de vos prédécesseurs. Accordez-lui, autant qu'à de nombreux électeurs de gauche, qu'il est bien difficile d'en discerner les nuances. Oh bien sûr, si vous aviez mis votre énergie à refaire ce que M. Sarkozy défit avec votre désapprobation officielle (retraites, niches fiscales, népotisme, conflits d'intérêts, libéralisation des jeux d'argent, licenciements en masse des fonctionnaires...), nous aurions applaudi à tant de détermination et de cohérence politique. Nous saurions gré à nos courageux ministres, s'ils faisaient reculer par la loi les pouvoirs pour rééquilibrer des rapports de forces sociaux écrasant les plus faibles. Si M. Hollande, très téméraire lorsqu'il est confronté à quelques milliers de pauvres Maliens désorientés, montrait autant de détermination à combattre les pouvoirs économiques autrement gigantesques que sont les lobbies industriels, pharmaceutiques, médiatiques ou bien les institutions de blanchiment d'argent et les agents de l'évasion fiscale, alors, oui, vous pourriez nous reprocher de ne pas vous remercier chaudement! 

Mais là, voyez-vous, malgré le chapelet de mesures plus ou moins en cours, plus ou moins utiles, plus ou moins choisies que vous nous faites dans la suite de votre lettre ouverte, l'enthousiasme me quitte, le lyrisme s'étouffe, l'envolée retombe pour laisser le goût amer que l'on ressent au réveil d'un doux rêve...

Je poursuis: «  le cadre budgétaire contraint que tu balayes d’un revers de manche ». Je vous renvoie seulement au contre budget que le Front de Gauche vous a opposé à l'automne. Votre formule méprisante pour les économistes de renom qui ont planché sur la partie économique du programme « l'Humain d'abord » (je n'ai jamais trouvé l'équivalent dans le programme de votre candidat pendant les présidentielles), ne mérite pas mieux.

Puis vous admettez, dans un accès de clairvoyance, que l'on pourrait confondre les politiques de l'UMP et du PS, et interrogez M. Mélenchon sur sa capacité à gagner des élections. A mon tour de vous interroger: votre objectif est-il de prendre le pouvoir, ou bien de faire avancer vos idées? Le pouvoir en vaut-il la peine, si vous devez pour l'obtenir renoncer à tous vos principes? C'est en répondant à ces questions que vous prendrez la mesure de ce qui vous sépare du Front de Gauche. L'abîme que vous avez creusé le 21 avril 2002, et approfondi depuis le 29 mai 2005, vous a fait perdre de vue les valeurs auxquelles le « peuple de gauche » est attaché. Si vous et vos amis continuent d'hésiter entre le pouvoir et vos convictions, alors le Front de Gauche ne gagnera qu'au bord du gouffre, comme le Front Populaire. Si en revanche le socle de vos convictions l'emporte, alors nous gagnerons beaucoup de temps au rétablissement de l'intérêt général comme horizon.

Laissez-moi s'il vous plait, à cet instant de ma longue démonstration, me reposer un peu en me contentant de vous paraphraser: « Pour cette classe dominante dont la cupidité est sans limites, le rapport de force est global et permanent. L'Autre doit céder, la concurrence s'exercer partout. Toute contradiction doit être effacée des cerveaux disponibles. Personne ne peut plus porter la vérité au peuple engourdi par une communauté médiatico-politique unie dans la volonté de servir les puissants ».

N'exagérez-vous pas « légèrement » en écrivant: « même ton combat contre le Front national ne souffre pas d’alliés car ce serait le dénaturer. » Il me semble que le PS fut bien discret pendant la campagne présidentielle, dans sa critique ou sa confrontation à la candidate FN. Le Front de Gauche s'est retrouvé isolé dans ce combat, et pour cause: avez-vous déjà oublié que le seul argument de votre candidat fut de « voter utile »? 

Mais abordons maintenant la perle, l'essence de votre rhétorique, pour reprendre de nouveau votre vocabulaire: « Tout pas en avant est pour toi un renoncement. Toute tentative de soulager la peine des Français un pis-aller. [...] tu dédaignes toutes les mains tendues, toutes les actions communes. Jusqu’à lancer une campagne contre l’austérité, qui désigne de fait le PS comme responsable. Au moment même où nous affrontons des forces, que tu connais bien, qui refusent le mariage pour tous. » L'art de retourner ses propres turpitudes, érigé en méthode accusatoire, chef d'œuvre d'une mauvaise foi décomplexée! Quand lui avez-vous « tendu » la main? Qui impose un budget d'austérité? Qui relève la TVA? Qui renonce à la taxation des hauts revenus? Qui fait mine d'affronter jours et nuits des « forces » réactionnaires à peine pires qu'elle? Dois-je poursuivre, ou bien réalisez-vous, d'où vous êtes, l'arrogance désobligeante, quasi-sarkozyste, dont ces phrases résonnent? 

Puis l'argument ultime, asséné maintes fois, et sur tous les tons, par les éléphants du PS: le prétendu « isolement » de M. Mélenchon. Eh oui, seul! Mais moins tout de même que de Gaulle un certain 18 juin. Moins que Hollande, quand DSK était encore le chouchou des médias! Un peu moins également que Sarkozy le lendemain de la défaite de Balladur! Vous en voulez d'autres?
Persuadez-vous donc que Hollande n'est pas Sarkozy! C'est sans doute vrai là où vous êtes, mais soyez sûr que d'où j'écris, la différence est ténue. Et pour cette jeune femme, qui vient de se suicider à la suite de son mari après avoir étranglé ses trois petites filles, votre prétendue gauche n'aura rien fait, même pas donné la moindre lueur d'espoir. On l'a espérée pendant 10 ans. Nous continuerons de ronger notre frein aussi longtemps que votre parti servira la finance avec zèle et empressement. Votre réaction à l'égard des « pigeons » fut absolument pathétique, et d'une fausse naïveté confondante. 

« C’est maintenant qu’il faut mettre les mains dans la boue d’un système, d’un modèle à bout de souffle. » De la boue dans notre système? Êtes-vous certain que Hollande, Moscovici, Sapin, Cahuzac, Fabius souscrivent à votre analyse? Si vous êtes enfin sincère, pourquoi vous époumoner inutilement sur les braises d'un feu qui étouffe? Que ne rénovez-vous pas les modèles que vous savez épuisés? Bien sûr, cela demanderait du courage, et quelques sacrifices, peut-être même un peu de patience. Mais vous rajeuniriez, croyez-moi. Regardez donc le jeune Mélenchon, entouré d'une équipe jeune, colorée, intelligente, polyglotte, confiante et concrète. Là, il y a de la vie, de l'espoir, de la confiance en un projet coopératif, éco-socialiste, respectueux des personnes, au service des plus faibles; à l'opposé finalement de vos tergiversations hésitant entre marchés « incontournables » et opinion publique si « ingrate » à votre égard...

Alors en effet, marcher à vos côtés serait un reniement des valeurs auxquelles nous sommes tant attachés et que le Conseil National de la Résistance illustre tellement mieux que l'exemple navrant que vous donnez à voir. Votre « réalisme » orthodoxe, votre soumission aux puissances de l'argent, votre ductilité aux idées libérales, votre fascination du pouvoir, vous ont donné accès aux lambris de la République à l'aune du « vote utile ». Si vous ne profitez pas de cette chance pour lucidement tourner à gauche en cette période de crise organisée par une poignée de spéculateurs, vous aurez trahi votre camp.

Note: Quand j'entends Monsieur Madelin, s'exprimant hier soir à la télévision, dire que l'accord sur la flexibilité du travail va dans le bon sens, je me demande s'il ne partage pas lui-même vos valeurs tellement plurielles...

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