Monsieur Cambadélis,
Faisant partie de ce que vous appelez
« l'électorat de gauche », en opposition à ces nombreux
centristes et autres indécis qui n'ont pas voulu ingurgiter du
Sarkozy pendant encore 5 années en se portant sur votre candidat aux
élections présidentielles, je vous sais gré d'enfin ouvrir undébat que ce même candidat n'a jamais accepté pendant la campagne
électorale: « le PS et le Front de Gauche » sont-ils
politico-compatibles?
A mon tour de me faire plaisir en
reprenant votre argumentation point par point.
Aïe! D'emblée, vous affirmez que la
« gauche », plurielle, partage les mêmes valeurs. Je
vous garantis le contraire, si vous entendez par là que le Parti
Socialiste est de gauche... Je ne retrouve pas mes valeurs de
justice, lorsque j'entends la président « socialiste »
de mon pays appeler à « détruire » les « terroristes »
d'une ancienne colonie, au mépris de toute forme de procès; je ne
retrouve pas mes valeurs d'équité, lorsque son gouvernement, dont
la plupart des membres ont eu dix années pour analyser et réfléchir
à ce qu'ils feraient au pouvoir, commande et applique sans délai un
« plan compétitivité » résultant en un appauvrissement
supplémentaire des recettes de l'Etat au profit essentiel des
entreprises, et sans contrepartie; je ne retrouve pas mes valeurs de
solidarité, lorsque son ministre du budget s'applique à miner le
projet d'une taxation des plus hauts revenus, au point de se
ridiculiser lui-même par la décision du Conseil Constitutionnel; je
vous passe le boa du TSCG, l'Anaconda de Florange, la charge des
forces de l'ordre à Notre Dame Des Landes, l'envoi des syndicats
dans la fosse aux lions
du Medef, etc....
Vous poursuivez en lui reprochant
d'avoir « décliné toute participation à l’action de
redressement de la France ». Pour avoir suivi avec attention la
campagne électorale sur laquelle vous revenez, je l'ai entendu
au contraire affirmer qu'il est prêt, sur la base du projet collectif que ses
militants lui ont confié, à prendre la tête du gouvernement. Auriez-vous cédé sur ce point à une mauvaise foi à
laquelle tout homme politique français semble aujourd'hui s'obliger?
En revanche, je me souviens également que votre candidat appelait
toutes les bonnes volontés à rejoindre son gouvernement pour
appliquer SON programme. Les écologistes ont accepté ce compromis
(certains de mes amis appelleraient cela une trahison), pas le Front
de Gauche, pour les raisons décrites au paragraphe précédent.
Et vous concluez que les « critiques
systématiques » ont moins de force. Là, je suis un peu perdu
par votre raisonnement, et vais essayer d'éclairer mon point de vue
par l'exemple.
Celui des écologistes tout d'abord:
les ministres EELV qui ont cédé à l'appel du pouvoir, pardon, qui
ont eu le courage de participer au redressement de la France avec vos
amis du PS, sont bâillonnés au sein d'un gouvernement qui vide de
leur sens toutes les promesses de campagne visant à la protection de
l'environnement et à la sortie du nucléaire. Leurs voix sont
inaudibles, leurs critiques inexistantes; sont-ils devenus
socialistes? Comment êtes-vous parvenu à diluer leur existence
« plurielle »?
Celui de vos (anciens?) amis ensuite.
Que reste-t-il de l'existence politique de ceux qui ont collaboré
avec N. Sarkozy? Kouchner? Besson? Strauss-Kahn? Leur participation
à la politique UMP a-t-elle fait avancer vos idées? Je suis très
impatient de vous lire à ce sujet.
Vous avez trop d'expérience pour
savoir que les appareils politiques, et celui du PS peut-être mieux
que les autres, alignent les têtes ministérielles les unes derrière
les autres pour présenter une cohérence médiatique conforme à ce
que l' »opinion publique » est préparée à entendre. La
petite musique du Front de Gauche, si justement différente de celle
que votre parti nous joue actuellement, à le don d'éveiller les
consciences, et de vous alerter assez pour que vous vous fendiez
d'une longue lettre ouverte.
Vous reprochez ensuite à M. Mélenchon
de ne pas partager sa critique entre votre action et le bilan de vos
prédécesseurs. Accordez-lui, autant qu'à de nombreux électeurs de
gauche, qu'il est bien difficile d'en discerner les nuances. Oh bien
sûr, si vous aviez mis votre énergie à refaire ce que M. Sarkozy
défit avec votre désapprobation officielle (retraites, niches
fiscales, népotisme, conflits d'intérêts, libéralisation des jeux
d'argent, licenciements en masse des fonctionnaires...), nous aurions applaudi à tant de détermination et de
cohérence politique. Nous saurions gré à nos courageux ministres,
s'ils faisaient reculer par la loi les pouvoirs pour rééquilibrer
des rapports de forces sociaux écrasant les plus faibles. Si M.
Hollande, très téméraire lorsqu'il est confronté à quelques
milliers de pauvres Maliens désorientés, montrait autant de
détermination à combattre les pouvoirs économiques autrement
gigantesques que sont les lobbies industriels, pharmaceutiques,
médiatiques ou bien les institutions de blanchiment d'argent et les
agents de l'évasion fiscale, alors, oui, vous pourriez nous
reprocher de ne pas vous remercier chaudement!
Mais là, voyez-vous, malgré le
chapelet de mesures plus ou moins en cours, plus ou moins utiles,
plus ou moins choisies que vous nous faites dans la suite de votre
lettre ouverte, l'enthousiasme me quitte, le lyrisme s'étouffe,
l'envolée retombe pour laisser le goût amer que l'on ressent au
réveil d'un doux rêve...
Je poursuis: « le cadre
budgétaire contraint que tu balayes d’un revers de manche ».
Je vous renvoie seulement au contre budget que le Front de Gauche
vous a opposé à l'automne. Votre formule méprisante pour les
économistes de renom qui ont planché sur la partie économique du
programme « l'Humain d'abord » (je n'ai jamais trouvé
l'équivalent dans le programme de votre candidat pendant les
présidentielles), ne mérite pas mieux.
Puis vous admettez, dans un accès de
clairvoyance, que l'on pourrait confondre les politiques de l'UMP et
du PS, et interrogez M. Mélenchon sur sa capacité à gagner des
élections. A mon tour de vous interroger: votre objectif est-il de
prendre le pouvoir, ou bien de faire avancer vos idées? Le pouvoir
en vaut-il la peine, si vous devez pour l'obtenir renoncer à tous
vos principes? C'est en répondant à ces questions que vous prendrez
la mesure de ce qui vous sépare du Front de Gauche. L'abîme que
vous avez creusé le 21 avril 2002, et approfondi depuis le 29 mai
2005, vous a fait perdre de vue les valeurs auxquelles le « peuple
de gauche » est attaché. Si vous et vos amis continuent
d'hésiter entre le pouvoir et vos convictions, alors le Front de
Gauche ne gagnera qu'au bord du gouffre, comme le Front Populaire. Si
en revanche le socle de vos convictions l'emporte, alors nous
gagnerons beaucoup de temps au rétablissement de l'intérêt général
comme horizon.
Laissez-moi s'il vous plait, à cet
instant de ma longue démonstration, me reposer un peu en me
contentant de vous paraphraser: « Pour cette classe dominante
dont la cupidité est sans limites, le rapport de force est global et
permanent. L'Autre doit céder, la concurrence s'exercer partout.
Toute contradiction doit être effacée des cerveaux disponibles.
Personne ne peut plus porter la vérité au peuple engourdi par une
communauté médiatico-politique unie dans la volonté de servir les
puissants ».
N'exagérez-vous pas « légèrement » en
écrivant: « même ton combat contre le Front national ne
souffre pas d’alliés car ce serait le dénaturer. » Il me
semble que le PS fut bien discret pendant la campagne présidentielle,
dans sa critique ou sa confrontation à la candidate FN. Le Front de
Gauche s'est retrouvé isolé dans ce combat, et pour cause:
avez-vous déjà oublié que le seul argument de votre candidat fut
de « voter utile »?
Mais abordons maintenant la perle, l'essence de
votre rhétorique, pour reprendre de nouveau votre vocabulaire:
« Tout pas en avant est pour toi un renoncement. Toute
tentative de soulager la peine des Français un pis-aller. [...] tu
dédaignes toutes les mains tendues, toutes les actions communes.
Jusqu’à lancer une campagne contre l’austérité, qui désigne
de fait le PS comme responsable. Au moment même où nous affrontons
des forces, que tu connais bien, qui refusent le mariage pour tous. »
L'art de retourner ses propres turpitudes, érigé en méthode
accusatoire, chef d'œuvre d'une mauvaise foi décomplexée! Quand
lui avez-vous « tendu » la main? Qui impose un budget
d'austérité? Qui relève la TVA? Qui renonce à la taxation des
hauts revenus? Qui fait mine d'affronter jours et nuits des
« forces » réactionnaires à peine pires qu'elle?
Dois-je poursuivre, ou bien réalisez-vous, d'où vous êtes,
l'arrogance désobligeante, quasi-sarkozyste, dont ces phrases
résonnent?
Puis l'argument ultime, asséné maintes fois,
et sur tous les tons, par les éléphants du PS: le prétendu
« isolement » de M. Mélenchon. Eh oui, seul! Mais moins
tout de même que de Gaulle un certain 18 juin. Moins que Hollande,
quand DSK était encore le chouchou des médias! Un peu moins
également que Sarkozy le lendemain de la défaite de Balladur! Vous
en voulez d'autres?
Persuadez-vous donc que Hollande n'est
pas Sarkozy! C'est sans doute vrai là où vous êtes, mais soyez sûr
que d'où j'écris, la différence est ténue. Et pour cette jeune
femme, qui vient de se suicider à la suite de son mari après avoir
étranglé ses trois petites filles, votre prétendue gauche n'aura
rien fait, même pas donné la moindre lueur d'espoir. On l'a espérée
pendant 10 ans. Nous continuerons de ronger notre frein aussi
longtemps que votre parti servira la finance avec zèle et
empressement. Votre réaction à l'égard des « pigeons »
fut absolument pathétique, et d'une fausse naïveté confondante.
« C’est maintenant qu’il faut
mettre les mains dans la boue d’un système, d’un modèle à bout
de souffle. » De la boue dans notre système? Êtes-vous
certain que Hollande, Moscovici, Sapin, Cahuzac, Fabius souscrivent à
votre analyse? Si vous êtes enfin sincère, pourquoi vous époumoner
inutilement sur les braises d'un feu qui étouffe? Que ne
rénovez-vous pas les modèles que vous savez épuisés? Bien sûr,
cela demanderait du courage, et quelques sacrifices, peut-être même
un peu de patience. Mais vous rajeuniriez, croyez-moi. Regardez donc
le jeune Mélenchon, entouré d'une équipe jeune, colorée,
intelligente, polyglotte, confiante et concrète. Là, il y a de la
vie, de l'espoir, de la confiance en un projet coopératif,
éco-socialiste, respectueux des personnes, au service des plus
faibles; à l'opposé finalement de vos tergiversations hésitant
entre marchés « incontournables » et opinion publique si
« ingrate » à votre égard...
Alors en effet, marcher à vos côtés
serait un reniement des valeurs auxquelles nous sommes tant attachés
et que le Conseil National de la Résistance illustre tellement mieux
que l'exemple navrant que vous donnez à voir. Votre « réalisme »
orthodoxe, votre soumission aux puissances de l'argent, votre
ductilité aux idées libérales, votre fascination du pouvoir, vous
ont donné accès aux lambris de la République à l'aune du « vote
utile ». Si vous ne profitez pas de cette chance pour
lucidement tourner à gauche en cette période de crise organisée
par une poignée de spéculateurs, vous aurez trahi votre camp.
Note: Quand
j'entends Monsieur Madelin, s'exprimant hier soir à la télévision,
dire que l'accord sur la flexibilité du travail va dans le bon sens, je me demande s'il ne
partage pas lui-même vos valeurs tellement plurielles...
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